Négocier la flexibilité : quels contenus ? Quelles modalités ? Une étude de cas dans la grande distribution et l'industrie des machines en Suisse
Jean-Michel Bonvin  1, 2, *@  , Nicola Cianferoni  1, *@  , Aris Martinelli  1, *@  
1 : Ecole d'Etudes Sociales et Pédagogiques  (EESP)  -  Site web
Lausanne -  Suisse
2 : Centre d'étude des capabilités dans les services sociaux et sanitaires  (CESCAP)  -  Site web
* : Auteur correspondant

La relation de travail taylorienne-fordiste, caractérisée par un échange « sécurité contre subordination », fait actuellement l'objet d'une remise en ; cause. Les entreprises sont confrontées à des contraintes économiques qui les amènent à recourir à des nouvelles formes de flexibilité pour faire face à des marchés de plus en plus concurrentiels : promotion de la polyvalence, horaires irréguliers, travail intérimaire, sous-traitance d'activités, etc. Comment ces formes de flexibilité se négocient-elles (ou pas) au sein de l'entreprise ou à l'échelon du secteur ? Pour répondre à cette question et saisir les négociations qui se déroulent autour de ces tendances à la flexibilisation et à la redéfinition de l'activité de travail, de son contenu et de ses conditions d'exercice sur la base d'observations empiriques, notre contribution propose d'analyser plusieurs études de cas en combinant la perspective institutionnaliste et pragmatiste de John R. Commons et l'approche par les « capabilités » d'Amartya Sen.

Si le point de départ de l'approche de Commons est l'incomplétude du contrat de travail de par l'égalité juridique et l'inégalité économique entre les parties, celui de Sen est l'inégalité des « libertés réelles » des individus à choisir un emploi qu'une personne a raison de valoriser (capability for work). La combinaison de ces deux approches nous amène à étudier les facteurs de conversion permettant de transformer les capacités en réalisations effectives que ce soit au niveau individuel (formation continue, reconnaissance des savoir-faire, participation au travail, etc.) ou collectif (action collective des travailleurs). Cette approche permet de considérer l'entreprise comme le résultat de transactions qui se déroulent dans un contexte dynamique de coopération et de conflits nécessitant la négociation, afin de définir et d'évaluer leur degré de capability for work.

Notre contribution s'articulera en trois temps. Nous présenterons dans un premier temps l'intérêt de combiner les perspectives de Commons (son approche pragmatiste et institutionnaliste concrétisée notamment au travers de la typologie des transactions) et de Sen (l'approche par les capabilités et l'accent mis sur les ressources et facteurs de conversion) pour étudier les négociations au sein des entreprises. Cette première partie débouchera sur l'élaboration d'une grille analytique visant à opérationnaliser le dispositif de recherche proposé. Nous présenterons dans un deuxième temps les résultats d'une recherche de terrain menée à l'aune de ce cadre théorique. Cette recherche repose sur 130 entretiens semi-directifs effectués en Suisse dans quatre entreprises actives respectivement dans la grande distribution et l'industrie des machines-outils. Notre attention se focalisera sur la manière dont le travail est négocié (ou pas) au sein de ces entreprises : quels objets sont négociés et lesquels sont exclus de la négociation ? quelles formes prennent les négociations lorsqu'elles ont lieu ? quels acteurs sont associés et avec quels pouvoirs de décision ? etc. Dans un troisième temps, nous discuterons l'hypothèse selon laquelle une érosion de la transaction de répartition au profit de celle de marchandage réduit le pouvoir de négociation des travailleurs au sein de l'entreprise et détériore par conséquent leur capability for work. Cette hypothèse se vérifie-t-elle au même degré dans les deux secteurs étudiés ? Quels facteurs et paramètres permettent de rendre compte des situations observées ? Quelles conséquences en découlent ? Ces faisceaux d'interrogations permettront de questionner le lien entre modalités de négociation du travail au sein de l'entreprise et développement des capabilités des travailleurs.



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