Le travail ne se négocie pas (Et ça ne date pas d'hier)
Pierre Lénel  1, *@  
1 : Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Economique  (LISE)  -  Site web
CNRS : UMR3320, Conservatoire National des Arts et Métiers [CNAM]
Conservatoire National des Arts et Métiers 2 rue Conté - 1LAB40 75003 Paris -  France
* : Auteur correspondant

A partir de deux « terrains » très différents, à la fois dans leur substance et dans la manière de recueil du matériau (enquête par entretiens et observations suivie d'un théâtre forum pour l'un, groupe de suivi d'actifs sur une durée de deux ans pour l'autre), cette communication s'efforcera de montrer que les possibilités de discuter du travail, de son contenu, de sa qualité et des perspectives de développement professionnel ne peuvent apparaître que lors de situations dramatiques dont il est dit, en première instance, qu'elles excèdent le quotidien du travail.

Les données construites lors d'une enquête dans une grande entreprise de télécommunications d'une part, et les trajectoires de vie recueillies au sein de groupes réunissant des malades atteints de maladie chronique souhaitant soit se maintenir en emploi, soit retrouver un emploi, donnent à voir les conditions dans lesquelles la négociation du travail s'accomplit : sous la contrainte permanente de la concurrence, ou la crainte de la maladie.

Les conditions alors pour que les enjeux du travail deviennent, un tant soit peu, un enjeu de mobilisation, ou simplement de discussion, y compris entre travailleurs, se donnent à voir pour ce qu'elles sont : c'est le moment où le travail semble contenir tout autant la production de la vie que celle de la mort (entreprise de télécommunications), quand le maintien ou le retour à l'emploi charrie autant de craintes pour sa vie que d'espoir d'une vie en santé (groupe d'actifs).

Si ces cas, limites, révèlent toute l'ambivalence du travail-emploi, ils révèlent aussi la cruelle absence de négociation autour du travail dans le cadre du travail que l'on peut qualifier d'ordinaire. Cette absence de négociation du travail avait d'ailleurs, en creux, bien été vue par la sociologie du travail française. Sabine Erbès-Seguin avait bien montré comment tout s'était passé comme si cette sociologie avait ignoré la question du réel du travail (ou de l'activité si l'on veut).

Mais, quel est le devenir de ces moments particuliers de négociation du travail ? Dans le premier cas, si la mise en cause de la vie a permis un temps de discuter du travail, il semble que le processus de mise à mort du travail ait repris. Dans l'autre cas, les tentatives de négociation débouchent le plus souvent sur une remise en cause de la centralité du travail (emploi) comme norme sociale. La difficulté à négocier le travail, trop lourde dans bien des cas, conduit les personnes à imaginer un autre rapport au travail, à construire une autre normativité (Canguilhem). Ce n'est plus seulement le travail qui est alors négocié, mais la vie (avec soi, avec ses proches, avec le « travail »).



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