Le statut du travail et ses enjeux dans la conception et l'évaluation des politiques de formation professionnelle
Edine Gassert  1, *@  
1 : Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Economique  (LISE)  -  Site web
CNRS : UMR3320, Conservatoire National des Arts et Métiers [CNAM]
Conservatoire National des Arts et Métiers 2 rue Conté - 1LAB40 75003 Paris -  France
* : Auteur correspondant

Quel rôle occupe aujourd'hui le travail dans la relation formation – emploi et comment les acteurs des relations professionnelles en tiennent compte dans l'élaboration et l'évaluation de leurs politiques ? Depuis les années 1990, les réformes successives engagées dans le domaine la formation professionnelle ont consacré un rôle accru au travail dans la production des compétences et l'accès à la qualification. L'ANI de décembre 2013 et la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle ont confirmé cette tendance, en élargissant les contours et les contenus de la formation en situation de travail. Désormais, la formation n'est plus seulement conçue suivant une logique de cours et stage en partie extérieure à l'entreprise, mais aussi en lien avec l'organisation du travail et la politique de celle-ci. Cette dynamique a complexifié l'objet formation, et notamment l'appréhension de ces effets sur le parcours professionnel de l'individu et sur l'entreprise elle-même. Dès lors, comment les acteurs des relations professionnelles tiennent-ils compte de cette complexité dans la conception et l'appréciation des politiques de formation ? Quels sont les outils et techniques dont se dotent les acteurs pour évaluer conjointement leurs actions au prisme du travail ? En quoi l'évaluation des politiques de formation nous renseigne sur les possibilités de discussion et de négociation relatives au travail et ses composantes ?

Ce questionnement nous conduit à considérer les travaux d'évaluation menés par les acteurs de la négociation collective au niveau national et interprofessionnel. Deux travaux ont retenu en particulier notre attention : une première évaluation, conduite en 2013, sur le thème des « usages et pratiques de la formation dans les entreprises de 10 à 49 salariés » puis une seconde, engagée en 2014, qui se présente sous la forme d'un dispositif d'enquête longitudinale visant à étudier les actions de formation suivies par les salariés et leurs effets sur les parcours professionnels. Ces travaux appréhendent les politiques de formation et leurs effets sur les salariés et les entreprises à partir de protocoles spécifiques d'évaluation. Dans le premier cas, l'évaluation s'appuie sur des travaux statistiques et monographiques afin de mettre en lumière les différents aspects d'une politique de formation : ses résultats, ses procédures, ses processus. Dans le second cas, l'évaluation de type longitudinal vise moins à isoler les effets produits par les différents dispositifs de formation sur le salarié et l'entreprise, que de rendre compte de leurs places, contributions et significations dans les mécanismes de mobilité des bénéficiaires et dans la construction des parcours professionnels sur le marché du travail. Ces choix méthodologiques nous renseignent sur la volonté des partenaires sociaux de mieux comprendre les processus de formation des salariés dans leur diversité, en lien avec le travail et son organisation, et en lien avec les politiques de formation et de ressources humaines des entreprises.

 

L'analyse de ces travaux au regard de l'activité de négociation collective nous enseigne que l'acte de formation tend à devenir indissociable d'une réflexion plus systémique, qui intègre dans un même mouvement l'action au travail et son contexte, les pratiques professionnelles ainsi que les processus de négociation dans (et hors) de l'entreprise. Cette logique conduit les acteurs à s'éloigner d'une conception « restreinte » de la formation, c'est-à-dire au regard de ses conditions de prise en charge, au profit d'une acception plus « ouverte », qui intègre à la fois la diversité des processus d'apprentissage en situation de travail, ainsi que les changements professionnels intervenus dans l'activité. Ce recentrage sur la valeur formative du travail interroge la partition compétence / qualification et tend à faire de l'enjeu formation un nouvel espace de discussion entre les acteurs des relations professionnelles pour repenser le statut du travail au regard de l'objectif de sécurisation des parcours professionnels.



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