Les détours improbables d'une négociation locale d'un poste de travail : un CHSCT aux prises avec un tramway sur pneu à Clermont-Ferrand
Robin Foot  1, *@  
1 : Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés  (LATTS)  -  Site web
CNRS : UMR8134, École des Ponts ParisTech (ENPC), Université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEMLV)
Ecole des Ponts ParisTech, Cité Descartes, 6 et 8 avenue Blaise Pascal, 77454 Marne-la-Vallée cedex 2 -  France
* : Auteur correspondant

Cette proposition de communication aborde la question posée par ce colloque, « Comment le travail se négocie-t-il ? » à partir d'une lutte longue, échelonnée sur dix ans, du syndicat CGT du réseau de transport urbain de Clermont-Ferrand autour du poste de conduite d'un tramway sur pneus.

Cette lutte a débuté en 2004, par une demande d'expertise sur un nouveau tramway par le comité d'entreprise qui débouche sur une mise en cause du poste de travail et d'un dispositif de sécurité, le système d'« Homme mort ».

Elle a connu des moments de négociations conflictuelles autour d'une contre-expertise demandée par un acteur « extérieur » de l'entreprise, une autorité organisatrice. Durant trois ans, un jeu à trois, syndicats, direction et autorité organisatrice s'est joué en apparence sur la scène locale. Mais, en fait, le blocage de la situation locale provenait d'un quatrième acteur, la RATP, qui intervenait comme conseil de l'autorité organisatrice et tentait de prendre le contrôle de ce réseau indépendant. Porte parole de la RATP, le blocage local sur les conditions de travail de ces conducteurs avait aussi pour origine la défense d'un dogme du milieu ferroviaire sur le système d'Homme mort.

Ce blocage local a contribué, avec d'autres constats faits dans différents réseaux, à mettre en évidence la difficulté du milieu du tramway à prendre en compte la question du travail dans la conception des tramways. Un service technique de l'État, constatant la défaillance des exploitants à prendre en charge la question des conditions de travail, a pris l'initiative de lancer un processus de rédaction d'un guide d'ergonomie qui devait s'imposer aux constructeurs.

Parallèlement à ce processus, la Fédération CGT des Transports organise des rencontres et instruit cette question de l'Homme mort et lance en 2011, une lutte nationale pour la suppression de ce système qui met en cause la santé et la sécurité de conduite. La lutte se poursuit encore et implique les syndicats de plusieurs réseaux.

En 2011, à Clermont-Ferrand, une lutte s'engage contre le projet de confier la gestion du réseau à RAT Dev prise par l'autorité organisatrice. Lutte extrêmement majoritaire puisqu'à certains moments il y a près de 100% de grévistes. En effet, l'autorité politique veut aussi « démissionner » le directeur. La lutte est victorieuse. Le président de l'autorité organisatrice est mis en minorité. La société d'économie mixte devient une régie. La RATP est exclue du nouveau montage.

La question des conditions de travail peut de nouveau être posée et elle est devenue urgente : huit maladies professionnelles ont été reconnues en moins de six ans. La CARSAT et l'inspection du travail soutiennent les demandes du CHSCT pour que des mesures soient prises.

En 2013, un nouveau cycle d'expertises s'enclenche mais cette fois-ci autour de projets de transformation du poste de conduite. Finalement, en 2014, une nouvelle configuration se dessine pour mener un processus de re-conception du poste de conduite : le CHSCT, la direction et l'autorité organisatrice sont réunis dans un même comité de pilotage pour négocier avec le constructeur un nouveau poste de conduite.

Dans l'ensemble de ce processus, on se rend compte qu'il n'y a jamais de lutte « locale » mais toujours une lutte qui pour réussir doit proliférer et se disséminer au-delà des murs à la recherche de nouvelles ressources, de nouveaux alliés. La théorie de l'acteur-réseau mobilisée dans l'espace des relations professionnelles permet de rendre compte de cette complexité des luttes sur le travail.



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