Remise en jeu continue, négociations « dos au mur »: le travail des facteurs
Paul Bouffartigue  1@  , Jacques Bouteiller  1@  
1 : Laboratoire d'économie et de sociologie du travail  (LEST)  -  Site web
Aix Marseille Université, CNRS : UMR7317
35 Avenue Jules Ferry - 13626 Aix en Provence cedex 1 -  France

Le travail, le métier et l'emploi des facteurs sont entrés dans une période de forte turbulence ces dernières années. Prenant appui sur la mécanisation, ainsi que sur le recul - réel - du volume du trafic postal, les directions impulsent une diminution importante des effectifs et des réorganisations permanentes du travail. Le nombre et la configuration des unités de base de l'activité des facteurs, les « tournées », sont régulièrement remis en jeu. A partir d'une enquête en cours dans le département des Bouches-du-Rhône, nous proposons d'examiner les logiques au travers desquelles ces réorganisations sont impulsées et la manière dont les militants syndicalistes et les salariés s'efforcent d'y répondre.

Devenue EPIC en 1992, puis société anonyme à capitaux publics, la Poste s'est métamorphosée rapidement. Pour autant l'héritage de l'ancienne administration publique pèse encore. On le voit par exemple au faible impact des efforts maintenant anciens pour convertir les facteurs aux orientations commerciales, les facteurs – et pas seulement les plus anciens – continuant de valoriser le service non marchand rendu au public bien plus que l'activité de vente. A la présence demeurée forte des syndicats et au poids de ceux qui affichent l'orientation la plus contestataire. Ou encore à l'attachement des facteurs à leur « propriété » d'une tournée et leur hostilité conjointe aux dispositions qui tendent à remettre en cause cette dernière : « sécabilité » de certaines tournées qui sont réparties entre salariés au cours de certaines périodes, multiplication des emplois associés à une polyvalence sur un ensemble de tournées.

Les transformations organisationnelles se sont traduites par la perception d'une intensification du travail, d'une dégradation de sa qualité, et d'une incertitude du lendemain d'autant plus marquée que c'est l'avenir même du métier qui est en question : y aura-t-il encore demain suffisamment de courrier à distribuer pour justifier l'existence du groupe professionnel ? Les « nouveaux services » que s'efforcent de promouvoir les dirigeants de l'entreprise permettront-ils de le sauvegarder ? Et si oui, cela se fera-t-il au prix d'une perte de ce qui faisait le sens du métier ? La montée des « RPS » a affecté la Poste comme d'autres grandes entreprises historiquement publiques. Une commission dite du « Grand Dialogue » a débouché sur quelques mesures visant à mieux prévenir la dégradation des conditions de travail et de la santé au travail. Les réorganisations sont un peu moins fréquentes – tous les deux ans -, des « études d'impact » se sont systématisées, des modèles plus diversifiés de réorganisation sont proposés à l'échelon des unités de distribution, et soumis à la consultation des intéressés, permettant parfois de limiter voire d'annuler la « sécabilité », des tournées aménagées sont mises en place pour les travailleurs âgés ou/et fragilisés. Sont également expérimentés de nouveaux régimes horaires avec « pauses méridiennes » et mis en place des horaires collectifs qui bouleversent le modèle temporel traditionnel – prise matinale du poste et principe du « fini parti » - qui était l'un des piliers du sens et de l'attractivité du métier de facteur.

Nombre de ces transformations s'articulent avec un changement majeur dans le mode de prescription du travail, le passage d'une évaluation in situ à un mode de calcul informatisé de la charge, par définition éloigné de l'activité réelle et de sa variabilité en fonction du contexte quotidien et des capacités effectives du travailleur : d'où un décalage fréquent entre la charge perçue le discours relatif à la baisse de l'activité en proportion du trafic.

La communication développera l'analyse de la manière dont les différents acteurs de l'entreprise – directions, managers, représentants des salariés, facteurs et factrices – se positionnent eu égard aux réorganisations du travail. Dans un contexte où la plupart des dimensions du travail sont a priori hors champ de la négociation collective, on portera une attention particulière aux initiatives prises par les représentants des salariés pour tenter de peser sur ces dernières : recours aux expertises par les CHSCT, contestations des modes de prescription et d'évaluation du travail.



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