Négocier ses rémunérations. Les salariés du secteur bancaire
Sophie Bernard  1, *@  
1 : Institut de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales  (IRISSO)  -  Site web
Université Paris IX - Paris Dauphine, CNRS : UMR7170
Place du Maréchal de Lattre de Tassigny 75775 PARIS Cedex 16 -  France
* : Auteur correspondant

Une norme de flexibilité s'est imposée dans les entreprises dans les années 1970, réclamant de la part des salariés réactivité et responsabilisation. Les dispositifs de rémunérations sont à la fois révélateurs et moteurs de ces mutations, constituant notamment des outils de management visant à mobiliser et à orienter les comportements des salariés. Je m'inscris ainsi dans la perspective de Mottez (1966) pour lequel l'étude des formes de salaire donnaient à voir les transformations de l'organisation industrielle du XIXème siècle au début du XXème siècle et constituait par là même une entrée féconde pour penser la relation salariale. Si les pratiques de rémunérations ont toujours été relativement diversifiées et ont évolué au cours du temps, une norme s'est imposée en France à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Celle-ci s'appuyait sur les grilles de classification qui permettaient d'établir une hiérarchie de positions associées à des niveaux de rémunérations. Or depuis le début des années 1990, nous assistons à une diversification et à une complexification des pratiques de rémunérations, qui se traduisent par une individualisation croissante de celles-ci et par le développement des primes « réversibles » individuelles et/ou collectives. Par ailleurs, depuis une dizaine d'années, sous l'impulsion des gouvernements successifs, les dispositifs de participation, d'intéressement et d'épargne salariale se sont fortement diffusés. On constate ainsi un écart de plus en plus important entre le salaire de base et la rémunération effective des salariés, traduisant une valorisation de la dimension marchande de la relation salariale. Si les augmentations de salaire représentent un objet relativement classique de négociations avec la hiérarchie, le développement des primes sur objectifs en constitue une occasion supplémentaire. Ces primes ont notamment pour vocation de responsabiliser les salariés sur leurs résultats en les récompensant théoriquement en fonction de leur travail et de leur mérite. Leur mise en œuvre pose néanmoins l'épineuse question des critères d'évaluation et de leur justesse. Une place importante est ainsi accordée au jugement porté sur le travail par la hiérarchie, que ce soit dans le cadre des entretiens annuels d'évaluation ou de manière moins formalisée. S'opère de la sorte une révision complète des termes de l'échange entre employeurs et salariés, s'accompagnant d'un renforcement du rôle des entreprises et des salariés dans les négociations des termes de l'échange salarial.

 

Dans cette communication, il s'agira d'étudier les processus de négociations formels et informels des rémunérations entre salariés et hiérarchie, opérant tant au niveau du salaire fixe qu'à celui des primes sur objectifs. Nous montrerons dans un premier temps quels sont les salariés qui négocient et ceux qui ne négocient pas (notamment les femmes) et quelles variables permettent d'expliquer cette auto-exclusion, mais également de quelles manières les managers tâchent d'éviter toute négociation en se réfugiant notamment derrière des résultats quantifiables et soi-disant objectifs. Nous retracerons les différentes étapes du processus de négociations. Il s'agira également de mettre au jour les arguments mobilisés par les managers et par les salariés dans les négociations portant sur les rémunérations, les uns pour justifier leur décision, les autres pour la contester, pour mettre au jour les atouts pouvant être à même de modifier la position initiale des managers. Ainsi, après avoir analysé qui négocie et comment, nous nous intéresserons plus spécifiquement à l'activité concrète de répartition des rémunérations des managers et verrons en quoi elle constitue un véritable casse-tête pour ces derniers. Confrontés à des écarts de salaire conséquents au sein de leur équipe, ils se trouvent écartelés entre des critères de justice contradictoires et contraints d'opérer des arbitrages impossibles pour aboutir à des solutions qu'ils jugent souvent insatisfaisantes. Leur tâche relève donc davantage du bricolage que d'un exercice formalisé et objectif permettant de reconnaître le mérite de chacun, mais ils doivent pourtant justifier leur décision auprès de leurs salariés en mobilisant des critères de justice auxquels les salariés en opposent d'autres.

 

Pour étudier ces processus de négociation des rémunérations, je m'appuierai sur les résultats d'une recherche en cours (financée par l'APEC) visant à étudier les effets de la complexification et de la diversification des dispositifs de rémunérations sur le travail et les trajectoires professionnelles, ainsi que sur le rapport au travail et à l'entreprise. Des entretiens ont été réalisés auprès de DRH, de salariés des secteurs de la grande distribution et de la banque. Je me focaliserai dans cette communication sur ce dernier cas. Le matériau recueilli comprend 43 entretiens réalisés auprès de salariés d'une entreprise du secteur bancaire, localisés dans la région parisienne et dans le nord de la France, des documents internes (et notamment les bilans sociaux) et des entretiens réalisés auprès des représentants d'organisations syndicales.

 

 

 

 



  • Autre
Personnes connectées : 1